« TOTALITÉ — Dans le cadre d’une grossesse normale, l’homogénéité des conditions de vie prénatale plonge le fœtus dans l’expérience de la totalité vitale. Celle-ci, enregistrée par les territoires corticaux libres, devient un besoin spécifique qui redétermine le fondement animal en être humain.  » Humain  » veut dire ayant un sens supplémentaire, le sens de la totalité,qui devra par la suite acquérir ses modalités psychiques. » Jean Marie Delassus, Le Sens de la maternité (Paris, éd. Dunod, 2002, p. 303-308)

L’auteur utilise ici la notion de Totalité pour définir le milieu in utero dans lequel évolue le fœtus. Un mot incertain dont s’est emparée la maternologie pour tenter de rendre compte d’un réel d’avant le réel, et définir ainsi les conditions de vie éprouvées par le fœtus au sein utérin. L’intérêt en est d’approcher la maternité et la naissance humaine sous un autre angle, au regard d’une clinique en mouvement.

Selon cette approche, la première vie de l’être humain se développe dans un milieu homogène et constant. La température ambiante, la luminosité, les battements du cœur maternel et le niveau sonore sont autant d’éléments allant dans ce sens. Les besoins vitaux sont aussi assouvis sans se faire ressentir par lui comme une nécessite. Toutefois, la présence du cordon ombilical, signifiant de l’incomplétude du fœtus, insiste sur l’illusion de cette totalité qui n’est que la représentation d’un éprouvé, d’une réalité interne et non un objet réel.

L’homéostasie, « Stabilisation, chez les organismes vivants, des différentes constantes physiologiques »(Grand Robert) serait ainsi le principe à l’oeuvre régissant les conditions de vie de ce milieu utérin.

« Le fœtus… vit dans un état élationnel qui constitue une homéostase parfaite, sans besoins, car ceux-ci étant automatiquement satisfaits, n’ont pas à se constituer comme tels ; étant donné le caractère parasitaire de ses métabolismes, il ne connaît ni désir ni satisfaction liée à la détente ; cet équilibre …peut fournir le support à certaines élaborations apparaissant par la suite comme des états narcissiques caractérisés… » (Bela Grunberger).¹

En dehors de toute perturbation  massive et durable ( souffrances fœtales), cet état du fœtus recouvre le temps de la gestation. Entre la 12e et la 16e semaine aménorrhée, passage de l’embryon au fœtus, quelque chose va intervenir qui va permettre à l’être en devenir d’éprouver cette ambiance, de l’enregistrer, de l’intégrer en soi comme archétype et support du sentiment de soi. La maturation des zones associatives du cerveau en développement va permettre l’enregistrement par le fœtus de ces conditions de vie. L’embryon qui jusque-là baignait dans ce milieu va l’incorporer en devenant fœtus.Une expérience publiée en 2009 dans la revue Child Development² a montré cette capacité de mémorisation du fœtus. Un groupe de 93 femmes enceintes de 28 à 36 semaines SA a été recruté pour évaluer la mémoire et l’apprentissage fœtal par habituation à des stimulations acoustiques. Devant une stimulation nouvelle, un sujet manifeste une réaction. La répétition de cette stimulation finit par ne plus déclencher de réaction : c’est l’habituation. L’habituation repose sur l’apprentissage et donc sur la mémoire. L’étude démontre que quel que soit l’âge du fœtus pendant cette période, il est capable d’une mémoire à court terme d’environ 10 minutes et d’une mémoire à long terme d’environ 4 semaines.La science pointe ici la rétention mémorielle d’une stimulation ponctuelle, à un terme avancé de la grossesse et permet d’envisager la mémoire du fœtus comme une réalité. Cette mémoire s’inscrit aussi dans une capacité associative plus importante chez le fœtus humain que chez celui des autres mammifères. La présence massive des aires associatives (aires de Broca) chez l’être humain, permet aux neurones libres (non programmés génétiquement) de se connecter entre eux et ainsi d’associer les différentes perceptions de sa vie utérine qui lui parviennent de tous ses sens. Celles-ci vont converger en un éprouvé global de ce milieu originel,vécu et enregistré au niveau cortical sous la forme d’un premier lieu psychique.

« Le fœtus humain a la capacité, du fait de ses neurones libres, de mémoriser la nature de la vie fœtale et l’état de totalité qui lui est inhérent » (J.M Delassus).³

La possibilité neuronale de décalquer l’anté-natal va spécifier l’humain selon une dimension « neurontologique » inédite. Ce néologisme constitué par Jean-Marie Delassus à partir de neuronal et ontologique ( qui concerne l’étude de l’être) qualifie l’origine de l’ « être » humain selon l’impact particulier que peut revêtir pour lui sa vie prénatale du fait de la chimie même de son cerveau.

Si toute vie végétale ou animale se développe et ne se comprend que dans le cadre du rapport qu’elle entretien avec son milieu, alors l’humain, cet être vivant d’outre-monde, ne peut s’étudier sans la considération de son rapport à ce lieu d’émergence. Matrice préparant l’organisme au monde extérieur pour les autres espèces, il devient pour lui son origine, un monde en soi qui ne le prépare pas à naître au-delà et redéfinit un nouveau besoin, humain, un besoin de Totalité.

Bertrand Schneider le 05/01/2014

 

Bibliographie

  1. Grunberger (B), 1971, Le narcissisme, p 28, 2003, Paris, Editions Payot.

  2. Chantal E. H. Dirix and Jan G. Nijhuis, Henk W. Jongsma, Gerard Hornstra, July/August 2009, Aspects of Fetal Learning and Memory in Child Development,, Volume 80, Number 4, Pages 1251–1258
  3. Delassus (J.M), 2005, Les logiciels de l’âme, « Totalité et origine », p 36, 2005, Fougère, Encre marine.