Le cri natal constitue l’un des critères du score d’Apgar qui permet d’évaluer la vitalité du nouveau-né. Un cri vigoureux lui donne 2 points sur les 10 maximum. S’il n’a pas un sens en soi, nous pouvons toujours en relever sa singularité humaine.

Cotation   Battements       cardiaques Respiration Coloration  Tonus  musculaire    Réactivité à la    stimulation
0    Absents Absente Bleue ou pâle    Nul     Nulle
1   < 100/min­ Quelques mouvements spontanés Cyanose des extrémités    Hypotonie     Grimaces
2   >100/min Normale Rose    Tonus          normal     Cris

(Collège national des gynécologues et obstétriciens français, 2007)

En effet, de tous les mammifères placentaires, le petit d’homme demeure, semble-t-il, le seul à pousser ce cri attribué au déplissement des poumons. L’on tend aujourd’hui à le mystifier pour mieux soutenir une idéologie du « bien naître » qui vise à réduire si ce n’est annuler la fracture natale. Ainsi, le bébé accouché respectueusement ne se trouverait pas dans la nécessité de crier. Ce cri viendrait alors des mauvaises conditions de son accouchement : salle de naissance trop froide, lumière trop vive, technicien trop brutal… nous nous inscrivons en faux contre cette idée en soutenant que ces réalités nuisent à la disposition d’accueil des parents plus qu’elles n’influent sur le bébé lui-même. Dans le cas des grand prématurés, peut-être s’agit-il de maintenir au mieux les conditions de sa vie prénatale, mais en ce qui concerne la normalité statistique, il est préférable que le fœtus éprouve ce changement de monde.

Ce n’est pas ce monde qui fait violence, même s’il peut l’être aussi, mais l’effraction de la différence induite par sa rencontre d’avec celui-ci, immédiatement et radicalement autre que le sien. J’insiste sur ce terme d’effraction car il s’oppose à une habitude de pensée la naissance selon un idéal. Il en va peut-être d’une dénégation à reconnaître que le monde nous arrive dessus comme le ciel pourrait nous tomber sur la tête. En première intention, la naissance est une catastrophe. L’élan maternel surgit de l’urgence à donner à son bébé de sa présence, de son être-là, pour s’opposer à cette effraction puisqu’elle se sait être l’accès privilégiée à un au-delà de cette dernière. Elle va devenir le premier interlocuteur valable en ce monde au titre qu’elle en est un représentant acceptable dont la fonction essentielle de médiation va permettre l’établissement progressive d’une dialectique avec celui-ci.

Ce cri, manifestation de vie du bébé face à son accouchement, demeure donc capital à l’établissement du lien. Sur un plan symbolique, il pourrait être entendu au plus près du signifiant « Hilflosigkeit » dont parle Freud pour définir l’état de détresse originaire de l’homme, à savoir son impuissance à s’aider lui-même, son dénuement. Inutile de le restreindre à ce seul moyen d’expression qu’est la phonation, la clinique nous enseigne que les yeux ou le corps sont tout aussi efficaces à le traduire aux parents. Ce cri les appelle à rejoindre leur enfant, à être là  et toute entrave à ces retrouvailles risque de constituer le sentiment d’une faute commise à son égard. Le sentiment de culpabilité est tel qu’il en découle souvent un risque d’effondrement pour les mères,« il avait besoin de moi et je n’étais pas là », « mon bébé s’est retrouvé tout seul en couveuse parce que je n’ai pas su accoucher », « je n’ai vu que son petit pied avant qu’ils ne l’emmène loin de moi » sont autant de paroles qui le fondent et le traduisent dans le même temps…. Il reste tant de choses à penser en salle de naissance et encore plus dans les blocs obstétricaux.

Bertrand Schneider, le 04/01/2014